La russophonie est une notion moderne et nouvelle, même le mot n’existait pas en russe, mais il est bien évident qu’elle ne vient pas de nulle part.
C’est le caractère impérial d’un pouvoir utilisant la langue russe comme lingua franca entre des dizaines de peuples très différents qui en assure la genèse, l’ancienneté, l’assise et aujourd’hui la raison d’être. Maintenant, en dehors de tout lien de subordination étatique pour de nombreux états de l’ancien empire et individus de par le monde.
Celà représente environ 300 millions de personnes, selon les calculs et estimations les plus prudents établis par les chercheurs sur la langue russe aujourd’hui.
A titre de comparaison, si l’on se contente de recenser les Russes proprement dits, qui s’entendent là comme des Russiens, c’est à dire des habitants de la Russie sans être « ethniquement » Russes, dans le monde, on arrive à quelque 160 millions de personnes. D’où la limite de la notion de compatriotes si chère à nos amis Russes aujourd’hui.
Bien sûr, en matière d’identité et donc de création intellectuelle et/ou artististique, la distance, la différence voire la dichotomie entre une expression « russe » et russophone peut faire l’objet de débats. C’est l’un des thèmes qui seront évoqués aujourd’hui du reste et qu’on ne prétendra pas avoir pu clôre.
Au niveau de cette introduction qu’on me permette simplement d’avancer deux idées qui peuvent aider à mieux saisir les interventions qui suivront :
– Tant que l’empire existait sous sa forme monarchique ou soviétique, les russophones qui y vivaient étaient sujets de l’empire et de ce fait même envisageaient les choses du point de vue de cette appartenance. C’est à dire qu’ils envisageaient leurs propres questions nationales où les lieux où ils se trouvaient d’un point de vue « russe ». Qu’ils aient été des théoriciens tatares à l’intérieur de l’empire au début du XXème siècle ou des écrivains « émigrés » par opposition ou scepticisme par rapport au tsarisme comme des Herzen ou des Tourgueniev, tous écrivaient en russe, ou notamment en russe, sur des thèmes se rapportant à la Russie. M. Chychkine va nous en parler en s’appuyant sur l’exemple suisse où l’émigration politique russe a été nombreuse et active.
A l’époque soviétique, des grands écrivains « nationaux » trouvent leur public dans l’empire grâce au russe. Tchinguiz Aitmatov est l’exemple qui vient à l’esprit et il s’en revendique encore aujourd’hui. Mme Sokologorsky va évoquer ces aspects.
En ce qui concerne la disapora, qui est avec l’éclatement de l’URSS à la base de la russophonie comme phénomène mondial, elle restera très liée des années vingt à la fin de l’URSS à la référence russe ou soviétique. En commençant par l’émigration en grande majorité blanche qui a suivi la guerre civile, et dont va parler M. Jevakhoff. Elle continuera à se préoccuper essentiellement de la Russie et à écrire et penser comme des « Etrangers sur la terre ». C’est aussi vrai de Bounine ou de Merejkovskij que des dissidents des « vagues » d’émigration plus proches de nous comme Soljenitsyne, Zinoviev, Maximov ou Galitch.
(Petites exceptions : les Juifs d’Argentine du début XXème et les vieux-croyants du XVIII ème en Roumanie et en Bolivie – exception dans l’autre sens Makine…).
Les choses changent avec l’éclatement de l’empire et la liberté de déplacement. Aujourd’hui, l’expression russophone s’intéresse aussi à son propre pays, qu’il soit de l’ex empire ou d’accueil. Et se plonge dans des questions plus générales et universelles, toujours présentes certes dans la littérature russe, mais maintenant de plus en plus souvent sans le cordon ombilical de la « Terre Patrie » et « mondialisées » en quelque sorte ou aucontraire très « localisées », comme en Israël, en Allemagne ou en Ukraine.
Dans le nouveau contexte géopolitique « global », c’est un signe de vivacité et de nécessité de la russophonie dans la diversité culturelle et intellectuelle du monde. Irène Sokologorsky et Andréi Kourkov vont développer le sujet.
– L’autre idée est le rôle d’échanges et de communion de la russophonie. D’une part, entre peuples anciennement intégrés à l’empire, quelle que soit la façon dont cette appartenance est ressentie aujourd’hui, et d’autre part avec les autres cultures du monde. Le seul lien privilégié qui demeure aujourd’hui entre un Ouzbek et un Moldave, un Ukrainien et un Azéri ou entre un Géorgien et un Balte est la langue russe. Quoi qu’on dise dans cette langue et malgré la pression politique qui pousse les populations du dernier exemple à se dissoudre dans la masse de l’anglais ONU Macdonaldisé.
L’échange avec les autres peuples passe par la traduction qui est forcèment plus limitée du Quechua ou du Sarakolé vers le Tadjik ou le lituanien que vers le russe. Et vice-versa. C’est en partant de ce constat que pour notre part, nous apportons une petite pierre à l’édifice en organisant le Prix littéraire russophonie, récompensant la meilleure traduction de russe en français, financé par la Fondation Boris Eltsine.
A notre sens, une contribution importante à l’échange entre deux espaces culturels, ceux de la russophonie et de la francophonie, incontestablement attirés l’un par l’autre à en juger par le nombre de traductions publiées chaque année, et en tout cas sourdement et profondèment attachés l’un et l’autre à préserver ce qui reste de multipolarité intellectuelle dans le monde.
D. de Kochko
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